Chapitre 1 - Première S
Cette histoire est vraie mais tous les noms sont changés ainsi que les détails permettant une identification
Mon histoire commence lorsque j'étais en première S au lycée L., le meilleur de la région. Évidemment, à Paris, il y avait certainement plus élitiste, mais c'était déjà pas mal. Bonne élève, travailleuse, je ne me plaignais pas, même si l'ambiance du lycée était parfois un peu stricte. J'avais suffisamment d'amis pour alléger tout ça. Par un beau jour ensoleillé, alors que je rentrais de la pause du midi, j'ai aperçu Léa, ma meilleure amie qui m'attendait dans l'entrée, assise sur une marche. Son visage était blême, elle s'est précipitée vers moi et m'a serrée dans ses bras. J'ai compris que quelque chose de grave était arrivé. On est resté comme ça un moment. Elle a fini par me demander de la suivre. Elle m'a tenue par la manche et je l'ai suivie, déconcertée et vaguement inquiète. Nous avons traversé la cour du lycée jusqu'au bâtiment central arrière. Quelques groupes d'élèves étaient là, chuchotant. L'ambiance était indéfinissable. Elle s'est arrêtée et m'a montré une tâche sur une dalle, d'une couleur marron-bordeaux.
- Regarde, c'est là !
- Là que quoi ?, ai-je dit dans le flou le plus total
- Là qu'elle est tombée, m'a répondu Léa, les lèvres tremblantes. Il y a une fille qui a sauté et elle est tombée juste là, à quelques mètres de moi. Il paraît que c'était une fille de prépa. Tu te rends compte ?
Non, je ne me rendais pas vraiment compte. J'aurais voulu être plus en empathie avec Léa, pour pouvoir la réconforter. Mais là, j'étais juste déstabilisée, je n'arrivais pas à y croire. Léa m'a regardé fixement, elle attendait quelque chose de moi, un conseil ou un geste. J'ai réfléchi en regardant la tâche de sang séché. Tout ceci me paraissait irréel. Léa n'allait visiblement pas bien et je sentais que je ne pouvais pas l'aider. Après avoir rassemblé mes esprits, je lui ai proposé de l’accompagner à l'infirmerie. Le reste de la journée s'est passé, tant bien que mal, dans une sorte de flottement. Le lendemain, tout le lycée était au courant. On ne parlait que de ça. On attendait avec impatience le professeur du premier cours de la journée. On se disait qu'il ferait forcément une annonce. On se posait tous un peu les mêmes questions : Est-ce que la fille va s'en sortir ? Que s'est-il passé exactement ? Pourquoi a-t'elle fait ça ? Est-ce qu'on aurait pu empêcher ça ? Le professeur est arrivé, le visage grave. Nous sommes rentrés dans la classe dans un silence pesant. Une fois que nous nous sommes tous assis, il a commencé à parler : J'ai quelque chose à vous dire. Beaucoup d'entre vous sont déjà au courant... Hier, une élève de classe préparatoire est ... décédée dans la cour du Lycée. Cette élève était fragile et rencontrait des problèmes personnels ce qui explique son geste. Si certains d'entre vous se sentent choqués, vous pouvez quitter le cours tout de suite si vous le voulez. Il y a une cellule de soutien psychologique à l'infirmerie. Après avoir marqué une petite pause, il a ajouté : Évidemment, ce n'est pas à cause de la prépa qu'elle a fait ça. Il ne faut pas que ça vous empêche de suivre ce cursus. C'était quelqu'un qui avait de gros problèmes familiaux mais je ne peux pas vous en dire plus, voilà. Des questions ? Léa a levé le doigt pour demander à aller à la cellule psychologique. Le professeur qui était aussi confus que nous, lui a fait signe qu'elle pouvait se lever. Peu de temps après, le cours a tout de même commencé, malgré les chuchotements. Plusieurs réflexions fusaient à voix basse :
- Tu parles. Évidemment que c'est la prépa.
- T'as vu la tête qu'ils ont. Ils ont tous des cernes, je sais pas ce qu'ils leur font là-bas, mais ils ressemblent tous à des zombies.
- C'est sûr, ils peuvent dire tout ce qu'ils veulent, c'est pas là que j'irai.
J'étais assez d'accord avec ce qui se disait. Le bâtiment des prépas était à part au lycée. En tant que lycéens, on n'avait pas le droit d'y mettre les pieds. Bien que la cour soit commune, il y avait une sorte de cordon invisible entre les lycéens et les préparationnaires. Du coup, on ne les voyait pas trop et quand on les voyait, on trouvait généralement qu'ils avaient le regard éteint et très mauvaise mine. Le discours du professeur, on était beaucoup à le trouver très louche : pourquoi cette disculpation rapide de la prépa, dès le lendemain ! Le suicide, c'est quelque chose de complexe, ça semble incompatible avec des affirmations aussi rapides. Cette précipitation ressemblait presque à un camouflage. Après le cours, j'ai ressenti le besoin de revoir l'endroit où l'élève était tombée. Je m'y suis précipitée. J'ai retrouvé la dalle. La tâche de sang n'y était plus, bien sûr. La dalle avait été soigneusement nettoyée. J'ai levé les yeux vers le bâtiment essayant de deviner d'où elle était tombée. J'ai essayé de l'imaginer cette inconnue désespérée. Elle avait sauté du bâtiment central pendant la pause du midi, alors que tous les demi-pensionnaires étaient dans la cour. Elle s'était tuée dans l'enceinte du lycée. Je trouvais bizarre cette forme de mise en scène, elle me semblait trop ... spectaculaire. Instinctivement, le message que je comprenais de cette inconnue était :
- C'est à cause de la prépa que je fais ça, alors apprenez à vivre avec ça ! Voyez le résultat !
Je me trompais peut-être évidemment. Je ne savais rien de cette histoire. D'ailleurs je ne connaissais ni son visage, ni son nom. Personne ne l'a jamais prononcé devant nous. Il n'y a pas eu de bougies, de fleurs, de cagnotte, de livre avec des petits mots pour la famille. Au lycée, tout a été fait pour que cet événement soit rapidement évacué des mémoires. Et ça a marché. Si jamais elle avait voulu laisser un message au lycée dans le but d'une quelconque prise de conscience, c'était raté. Son suicide n'a pas laissé de trace. Pendant quelques temps j'ai cherché à comprendre, à imaginer comment elle en était arrivée là. Moi qui comprends bien les gens, en général, je trouvais que quelque chose n'allait pas dans ce geste. La seule chose dont j'étais presque sûre, c'est que c'était lié à la prépa, je me suis donc promis de ne jamais y aller.
Bien que cet événement ait été marquant, quelques mois plus tard, il était déjà rangé dans mes souvenirs, dans la rubrique faits divers... La vie continuait.
Chapitre précédent ------------------------------------------------------------ Chapitre suivant
Mots-clefs : CPGE, classes préparatoires, classes preparatoires, suicide, depression, dépression, déprime, deprime, stress, prepa, prépa