Chapitre 7 - Jusqu'aux vacances de Toussaint

Publié le par Missano

Passé le mois de septembre, je pensais que les humiliations allaient diminuer. Les 6 désistements étaient peut-être suffisants. Apparemment non. Les 5 élèves passant derniers du classement étaient devenus les nouveaux boucs-émissaires de nos chers professeurs. La personnalité si particulière de ces derniers m'apparaissait maintenant clairement. Comment avais-je pu les trouver sympathiques ? Ils cachaient bien leur jeu. Ils étaient monstrueux. Une fois qu'un élève était cassé et partait, ils trouvaient un nouveau jouet à briser.

Le professeur de Mathématiques n'était pas loin de la retraite. Il avait un visage très avenant, et pourtant il pouvait dire les pires vacheries sans quitter son sourire sympathique. Son masque était parfait, un numéro d'acteur hors pair. Les phrases bizarres, les phrases de conditionnement, il les disait calmement d'une voix doucereuse.

Le professeur de Physique était jeune et avait encore les dents qui rayaient le parquet, sauf qu'il n'y avait plus de parquet à rayer puisqu'il était professeur. Il adorait nous montrer qu'il maîtrisait bien le cours. Parfois, quand il avait rempli un tableau, il nous regardait, fier de lui, marquant une pause, on aurait dit qu'il attendait des applaudissements. C'était lui qui utilisait le plus de phrases bizarres. Son humeur était très changeante, son tempérament nerveux. Il pouvait passer de la colère au rire en très peu de temps et sans que l'on sache pourquoi. Parfois il balançait la craie à travers la classe sur un élève en panique. Il semblait trouver ça drôle.

La professeur de Chimie était désagréable, avec une voix criarde. Le son de sa voix me faisait régulièrement mal aux tympans. C'était la troisième et dernière émettrice de ces fameuses phrases. Elle était autoritaire, elle semblait sortir d'une école militaire.

Ensuite il y avait le professeur de Français, monsieur F., quelqu'un d'assez extraordinaire. C'était le premier professeur de Français que j'avais qui n'aimait pas les livres. Il en parlait avec autant de passion que s'il lisait un bilan comptable. Par contre il adorait s'écouter parler. Il faisait ses commentaires sur les livres, ce qu'il en avait pensé, nous étions censés retranscrire religieusement sa parole, ses opinions. Personne n'avait le droit d'intervenir pour glisser une idée personnelle. J'étais une des rares élèves à aimer lire, mais même pour moi son cours était rapidement devenu celui de l'ennui profond. Tous les élèves avaient été pragmatiques. Le cours de Français était devenu celui où l'on révisait, où l'on travaillait sur les DM, où l'on faisait autre chose. Monsieur F. n'a jamais rien remarqué, absorbé par ses propres monologues.

Ces quatre professeurs anormaux, névrosés, étaient tous passés eux-même par une prépa. J'y voyais un lien de cause à effet. Les professeurs d'Anglais et de Sciences de l'Ingénieur étaient les seuls qui étaient sains d'esprit. Sur une semaine de cours, ça ne faisait donc pas beaucoup d'heures d'un enseignement dans des conditions sereines.

J'avais noté quelque chose de curieux. Alors que j'adorais le cours de Sciences de l'Ingénieur, qui était quand même censé être une vision pratique de notre futur métier, de nombreux élèves n'aimaient pas ce cours, voire le méprisaient (pas assez noble comme matière). Je me demandais pourquoi ils voulaient faire une école d'ingénieur si les capteurs, les pompes et les moteurs ne les intéressaient pas.

Octobre passait. Organisée, j'avais pris le pli. Je travaillais énormément. Je ne pensais qu'à ça. Ma vie se réduisait progressivement à la classe de prépa et à ma chambre. Mes parents ? On mangeait juste ensemble rapidement, après je me jetais sur mes cours. Léa ? Elle n'arrêtait pas de m'appeler pour qu'on se fasse des sorties et je déclinais souvent en lui disant que je n'avais pas le temps. Parfois je daignais venir, je la voyais avec d'autres connaissances du collège ou du lycée. Ils disaient qu'ils me trouvaient changée. C'est vrai que j'étais parfois un peu sèche avec eux, voire moqueuse, sarcastique. J'avais l'impression de perdre mon temps. Je commençais à les mépriser un peu.

Je ne comprenais pas pourquoi les personnes que j'appréciais auparavant étaient devenues à mes yeux si inintéressantes. Cette incohérence dans mes sentiments me troublait. Tout me semblait plus simple quand j'étais dans ma classe de prépa, c'était devenu une seconde famille. J'étais alors avec des gens qui pensaient comme moi, des gens qui trouvaient que j'avais l'air en forme. J'écourtais volontairement ces sorties.

Je ne prenais aucun retard, je travaillais toujours jusqu'à 22h30 maximum. Je continuais ma progression au classement.

Un jour un DM de mathématiques a été donné avec un exercice particulièrement difficile. Comme j'avais bien compris le cours, je m'étonnais de ne pas parvenir à résoudre le problème du premier coup. Je sentais que j'avais la solution au bout du stylo, j'avais vraiment envie de trouver. Tout à coup tout s'est éclairé, j'ai eu une fulgurance, j'ai noté frénétiquement ma réponse et me suis couchée contente. Il était 1h du matin.

Le lendemain, il s'est avéré que j'étais la seule à avoir trouvé. En attendant le professeur, de nombreux élèves recopiaient les réponses des autres pour rendre un DM plus complet. Je comptais parmi les fournisseurs de réponses, mais personne n'arrivait à croire que j'avais pu réussir là où Henri avait échoué. Henri m'a demandé ma feuille et l'a lue. Les autres élèves l'ont regardé, attendant sa réaction. Le visage d'Henri fut étonné, c'était la première fois que son visage marquait une émotion depuis le début de l'année :

  • C'est ça. C'est bien la bonne réponse.

Cet exploit m'a valu l'admiration de nombreux élèves. Hubert a recopié ma réponse. Il m'a regardé comme si j'étais une extra-terrestre. Il méprisait mon manque de compétition. A ma place, il aurait gardé jalousement la réponse pour que les professeurs le remarquent, pour qu'il sorte du lot. A ses yeux, comme j'avais bêtement donné ma réponse à tout le monde, j'étais vraiment la reine des cruches. En réalité, la seule chose idiote que j'avais faite c'était de me coucher à 1h du matin.

J'étais jeune, j'avais l'impression de ne jamais être fatiguée. J'avais l'impression que ce n'était si pas grave de se coucher tard même si je faisais en sorte que ça reste exceptionnel.

Les cours, les khôlles et les DS s’enchaînaient. Les khôlles avaient parfois lieu tard à 19h. Quand je rentrais chez moi après 20h30, que je mangeais rapidement le repas laissé par ma mère sur la table et que je me lançais dans des révisions plus tardives qu'à l'accoutumée, j'avoue que ça avait quelque chose d'un peu déprimant. Je commençais à ressentir un peu de fatigue, plus morale que physique. Heureusement, les vacances de Toussaint étaient dans une semaine.

Pour tenir d'ici là, je me suis mise à prendre des vitamines chaque matin. Finalement j'ai bien terminé la semaine : j'étais 7ème au classement (Ah ! Cette obsession du classement...) et contente d'être en vacances . J'ai arrêté les vitamines.

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