Chapitre 8 - Vacances de Toussaint

Publié le par Missano

Le premier jour de vacances j'ai fait une immense grasse matinée. Ensuite j'ai décidé d'appeler Léa. On s'est donné rendez-vous au centre-ville.

  • Salut Angèle!

  • Salut !

  • Dis-donc tu as une mine affreuse.

  • Eh bien ! Je te remercie, mais non, tout va bien.

  • T'es sûre ?

  • Mais oui... Raconte-moi plutôt ta vie à la Fac.

Elle m'a raconté ses aventures. Elle semblait heureuse et j'étais contente pour elle. Pourtant je n'arrêtais pas de regarder ma montre. Passées les premières minutes où j'étais réellement heureuse de la voir, je m'étais mise à culpabiliser d'être là. Je pensais à mes révisions de vacances, aux chapitres de mathématiques et de physique que j'aurais pu lire au lieu de papoter inutilement. Et quand elle me parlait de la Fac, je ne pouvais m'empêcher de penser que c'était,.... que c'était.... que c'était une usine à chômeurs. Tiens ? Bizarre... Pourquoi je pensais ça, moi ?

  • Et toi, la prépa comment ça se passe ?

  • C'est intéressant, c'est bien.

  • Tu n'as pas l'air très convaincue.

  • Si, c'est juste que les professeurs sont un peu durs. Parfois ils humilient les élèves.

  • Tu devrais partir, m'a dit Léa soucieuse.

  • T'inquiète. Leurs réflexions ne m'atteignent pas. Je suis blindée.

  • N'empêche, je trouve que tu as ... changé. Tu n'es plus la même.

  • Tu ne vas pas recommencer avec ça ...

  • Tu as l'air nerveuse.

  • Pas du tout.

  • Et pourquoi regardes-tu ta montre sans arrêt ?

Je n'ai rien trouvé à dire. Léa a continué :

  • Tu sais ce qu'il se passe Angèle. Je vais te le dire. Tu n'es pas vraiment avec moi parce que tu ne penses qu'à tes cours, tu as hâte de partir parce que tu es accro au travail. C'est devenu une corvée pour toi de venir me voir, tu ne le fais que par politesse. La prépa est en train de te changer. Tu es obsédée par la prépa. Tu es en train de te faire bouffer l'esprit.

  • N'importe quoi, ai-je ricané.

Léa et moi nous connaissions depuis si longtemps, au fond de moi, je savais qu'elle touchait juste, mais j'ai voulu le nier. Il y a des vérités qui sont difficiles à entendre, je me suis énervée :

  • J'ai juste énormément de travail. C'est déjà pas mal qu'on puisse se voir. Tu ne sais pas ce que c'est, travailler, travailler vraiment. Tu fais toujours le minimum. Tu ne peux pas comprendre ce qu'on vit en prépa. Moi, j'ai envie de réussir. Pourquoi n'aurais-je pas le droit d'être ambitieuse pour une fois dans ma vie ?

  • Eh bien, moi, j'ai l'impression que cette envie ne te réussit pas. Tu te souviens de ce qu'on disait sur la prépa au lycée ? Tu es en train de te transformer en zombie.

  • N'importe quoi !

  • Je suis ton amie, je suis juste inquiète pour toi.

  • Si tu étais vraiment mon amie, tu me comprendrais et tu m'encouragerais.

  • J'essaie juste de t'ouvrir les yeux...

Léa a marqué une pause, et puis elle a dit la phrase de trop :

  • Au fait j'ai droit à combien dans ton planning ? Deux heures ? Trois ?

Elle me connaissait par cœur, j'avais ménagé deux heures dans mon planning. Le fait qu'elle me mette en face de ce que j'étais en train de devenir m'énervait encore plus. Je me suis levée, essayant de me contenir :

  • Et moi qui me faisais une joie de te voir ! Tu as gagné, je me casse.

  • Angèle ! Attends !

  • Non, c'est bon... Et arrête de m'appeler ça me fera des vacances...

C'était la première fois que Léa et moi nous disputions. Nous nous sommes quittées durablement fâchées. Je suis retournée à mes cours, rassurée. J'ai ressenti un soulagement sans doute proche de celui d'une droguée en manque qui prend enfin sa dose.

J'ai alors repensé à ce qu'avait dit Léa, elle avait dit que j'étais accro... Et si elle avait raison finalement ? Puis je n'ai plus voulu y penser, j'ai nié l'évidence. J'ai considéré que mes amis d'avant la prépa me freinaient dans mes ambitions. Cette nouvelle manie d'être toujours inquiet pour moi alors que je savais très bien ce que je faisais... Des amis, je pouvais très bien m'en faire de nouveaux, c'était même déjà fait avec Charlotte. Le soir je m'étais quand même attentivement regardée dans la glace. J'avais des cernes, d'accord, mais il n'y avait pas de quoi en faire un fromage.

Le reste des vacances, j'ai travaillé tranquillement, de 6 à 8 heures par jour, en prenant soin de me coucher tôt chaque soir. Le fait de mettre un terme à mon amitié avec Léa ne semblait même pas m'affecter, une amitié de six ans pourtant.

Ce qu’il faut savoir de mon amitié avec Léa, c’est qu’elle était vraiment très forte. Elle était basée sur nos différences. Nous étions initialement quasiment le contraire l’une de l’autre.

Elle était extravertie, j’étais introvertie

Elle parlait, j’étais quasi mutique

Elle était croyante, j’étais athée

Elle était spontanée, j’étais réfléchie

Elle était désorganisée, j’étais méthodique

Elle était littéraire, j’étais scientifique

Elle aimait les surprises, j’étais routinière

Elle avait du cran, j'avais tendance à fuir

Elle pouvait vivre sans savoir ce qu’elle allait faire le lendemain, je planifiais tout plusieurs jours à l’avance

Elle était lesbienne, j’étais hétéro

Au contact l’une de l’autre nos deux personnalités s'étaient équilibrées (sauf au niveau de la sexualité, bien sûr, je précise pour les gens de la « manif pour tous » : l'homosexualité, ce n'est pas contagieux et ça ne se soigne pas) :

J’ai appris à sortir de mes routines, elle est devenue plus réfléchie, elle m’a fait découvrir les films d’auteur, je lui ai fait découvrir les films d’anticipation, j’ai appris à exprimer plus mes émotions, elle a appris à mieux comprendre les siennes, j'ai commencé à avoir moins peur des autres, elle a appris à être plus prudente. Avec l’aide l’une de l’autre, on a appris à mieux nous comprendre nous-mêmes ainsi que le monde qui nous entourait. A partir de la Première, j'étais une fille bien dans sa peau. Léa, elle, avait encore sa sexualité à assumer, mais c'était avec moi qu'elle partageait ce secret.

Malgré tout cela, malgré notre histoire commune, j'étais prête soudainement à tirer un trait sur cette belle amitié...

Je n'en étais pas encore consciente, mais cette dispute avait eu un effet non négligeable et salvateur: elle avait semé une graine de doute dans mon esprit. Une partie de moi commençait à se poser des questions.

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