Chapitre 9 - Novembre

Publié le par Missano

Après la semaine de vacances, j'étais en pleine forme pour continuer. J'étais à jour dans tous mes cours. Cette maîtrise des choses me rendait sûre de moi. J'adorais tout contrôler. La routine s'installait de nouveau, mais j'étais toujours motivée.

Les jours passaient. Je continuais ma progression. J'étais à présent 5ème.

Charlotte, elle, restait en bas du classement, vers la 22ème place. Je l'encourageais, je lui expliquais les notions qu'elle n'avait pas comprises. Son mauvais classement ne la protégeant pas, elle subissait un certain nombre de moqueries de nos chers professeurs. Je trouvais cela insupportable. Quand ça lui arrivait, je crois que je souffrais plus qu'elle. Elle se rasseyait, à côté de moi, en souriant, elle avait l'air d'aller. Moi, j'enrageais intérieurement.

  • Ça va ? Le professeur n'avait pas à te parler comme ça.

  • Ce n'est pas grave, Angèle. On en a vu d'autres. Ils sont comme ça, c'est tout, c'est le jeu.

Le jeu, vraiment ? Je trouvais qu'il n'était pas très amusant, ce jeu. Il commençait à me taper sur le système, ce jeu. Et d'ailleurs, qui en avait inventé les règles au juste ? J'aurais bien aimé lui dire deux mots à celui-là. Est-ce que la résistance à l'humiliation était une compétence requise pour le métier d'ingénieur ?

Finalement cette formation, ce n'était que du bachotage, avec les humiliations en plus. Je commençais à me dire que j'étais dans une situation inédite : ces professeurs par leur façon agressive d'enseigner m'empêchaient d'apprendre sereinement. Je me serais mieux débrouillée toute seule avec un livre : un livre ne lance pas des craies sur les élèves en les traitant comme des merdes.

Moi normalement, si calme, si apaisée... J'étais désormais nerveuse en permanence, je sentais une colère intérieure qui commençait à monter. Ça ne se voyait pas forcément sur mon visage. Pour ceux qui ne me connaissaient pas, je paraissais toujours d'humeur assez égale, souriante, aimable. Seule Léa avait les clefs pour percevoir ma véritable humeur interne.

Je commençais à avoir une baisse de motivation, mon doute augmentait, ma colère vis-à-vis des professeurs également. Un samedi, il y eut un forum d'écoles d'ingénieurs. J'y étais allée pour voir. Je voulais que ça me remotive et que ça me fasse un peu rêver. Des stands étaient tenus par des étudiants en dernière année. Je me suis aperçue que la moitié de ces futurs ingénieurs étaient complètement paumés. Certains ne savaient pas pourquoi ils étaient là. Ils étaient tombés dans leur école parce que c'était la meilleure qu'ils avaient eu au concours, rien à voir avec un quelconque intérêt. Ils avaient suivi le mouvement sans se poser de questions. Quand je leur demandais comment ils voyaient leur futur métier, si ce qu'ils faisaient leur plaisait, ils étaient troublés. Moi, je voulais devenir ingénieur et j'étais sûre de mon choix, mais je ne comprenais pas ces gens perdus qui faisaient cinq années d'études sans avoir de motivation autre qu'être le meilleur et faire partie de l'élite.

Au milieu du mois de novembre, je suis tombée malade. Rien de grave, une grosse bronchite. Mais j'ai loupé deux jours de cours. Deux jours de cours, ce n'est rien normalement, mais deux jours de cours de prépa, c'était long à rattraper. Moi qui n'avais jusqu'à présent pas de retard, je me suis retrouvée à rallonger mes heures de révisions le soir. A mon retour de congé forcé, j'ai donc travaillé jusqu'à 23h30 voire minuit pendant deux semaines pour tout rattraper. J'y suis arrivée en m'aidant à nouveau de vitamines. Assez vite, j'ai constaté qu'elles avaient de moins en moins d'effets sur moi et je commençais à me sentir vraiment fatiguée.

Je me posais des questions. Est-ce que le jeu en valait la chandelle ? Voilà une formation où la moindre défaillance pouvait être vécue comme une catastrophe, sans compter les insultes. Tout ceci était-il vraiment normal ? Non, mais ça, je le savais depuis le début. Je me rendais compte que je n'arrivais pas à m'y habituer et qu'il n'était pas souhaitable que je m'y habitue. Si ça ne me faisait plus rien de voir Charlotte se faire humilier, c'était que quelque part je renonçais à ma part d'humanité.

Etais-je obligée de subir tout cela jusqu'à la fin de l'année ? Je commençais à ne plus en avoir envie.

Un jour, le professeur de physique s'en ai pris méchamment à un élève. Il était le dernier d'un DS. Il s'est moqué de lui au moment de lui rendre sa copie. Il a fait un bon mot et est parvenu à faire rire la classe entière. Toute la classe s'est moquée de cet élève cloué au pilori,... y compris moi. Le son qui sortit de ma bouche était bel et bien un rire. D'un coup je me suis arrêtée honteuse. Jamais je n'aurais fait ça il y a deux mois, jamais je ne me serais moquée d'un élève en difficulté. Je m'en suis rendue compte et ce fut le déclic.

Jamais je ne me serais permise de me moquer de quelqu’un à terre, en participant à une humiliation collective parce que j’avais connu ça moi-même. En sixième, j’étais la seule élève basanée de ma classe composée majoritairement d’enfants de familles aisées. Comme ce n’est pas le sujet de cette histoire, je ne m’étendrai pas sur ce que j’ai pu vivre cette année-là, ça tient en quelques mots : insultes, brimades, crachats et quelques coups. Ça ne m’avait pas brisée, ça m’avait rendue plus forte encore. Je n’ai jamais pleuré devant ceux qui me faisaient du mal, je n’ai pas non plus laissé la colère ou la rancœur m’envahir. Je me suis contentée de m’échapper mentalement dans un monde imaginaire en attendant que les mauvaises choses passent.

Et elles avaient fini par passer, un jour pas comme les autres, en cinquième. Alors que ma classe attendait un professeur sous le préau et que j'étais assise murée dans mon silence habituel, j'ai entendu un élève parler de moi, il était juste à côté, il devait croire que j'étais sourde.

  • Cette fille-là, Angèle, qu'est-ce qu'elle peut être faible. On peut l'insulter, lui cracher dessus, elle ne réplique jamais. Elle se laisse faire. Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi faible.

Quand j'ai entendu cela, je me suis levée et j'ai lui ai dit :

  • Tu me crois faible ?

Comme je ne parlais jamais, tout le monde s'est retourné et m'a regardée, comme si quelque chose de grave allait arriver. Puisqu'ils semblaient tous très attentifs, je me suis alors lancée dans un petit monologue au ton déterminé :

  • Vous me croyez faible ? Si je ne réplique pas, c'est parce que c'est inutile. Se battre à 1 contre 10, inutile. Vous dire que je souffre et que ce que vous faites n'est pas bien ? Vous devez bien vous en douter : inutile. Vous insulter, être en colère : ce serait devenir comme vous et de toute façon ce serait inutile. Implorer votre pitié : ça vous arrêterait ça ? Je ne crois pas, c'est inutile. Alors je préfère me taire. Ça fait plus d'un an que je subis vos brimades en silence. Est-ce que l'un de vous m'a déjà vu pleurer une seule fois ? Non, personne, n'est-ce pas ? Maintenant demandez-vous : lequel d'entre vous supporterait une seule de mes journées sans pleurnicher sur son sort ? Pas grand monde, n'est-ce pas ? Et pour finir demandez-vous : qui est fort et qui est faible ?

J'ai bien regardé mon assistance, chacun de mes petits bourreaux, droit dans les yeux, et puis je me suis rassise reprenant le fil de mes pensées là où je l'avais laissé. J'ai cependant senti que quelque chose avait changé à ce moment précis. Il y eut un grand silence et une sorte de sidération parmi les élèves. Je les avais scotchés. A partir de ce moment-là, tout le monde m'a laissée tranquille et ce que je pouvais voir désormais dans les yeux de mes camarades, c'était du respect mêlé à un peu de crainte. Peu après, mon amitié avec Léa naissait.

Bon. Il fallait désormais que je l'admette. Léa et mes autres amis avaient raison. En trois mois, la nouvelle personne que j'étais devenue s'était disputée avec sa meilleure amie et s'était moquée d'un élève à terre. De quoi serai-je capable à la fin de l'année ? J'étais en train de devenir un monstre agressif et ambitieux.

Je commençais à ouvrir les yeux. Un conditionnement avait bien lieu ici. Toutes ces phrases prononcées avaient bien un impact. Je croyais qu'elles glissaient sur moi et j'avais tort. Pêché d'orgueil. A force de répétition, certaines étaient rentrées dans ma petite tête, et pas que dans la mienne, dans celle de presque tous les élèves. Les effets étaient différents suivant le classement, les origines sociales et la personnalité de base de l'élève, mais ils étaient rarement nuls.

Je me suis souvenue de ce que j'avais dis en début d'année. Il fallait que je sache partir si je constatais quelque chose de louche. J'avais un peu repoussé les choses, par déni, mais cette fois-ci j'avais les yeux bien ouverts. On y était. Je partirai bientôt, je sortirai de cet enfer. Je m'excuserai auprès de tous mes amis qui m'avaient avertie et en particulier auprès de Léa. Je savais qu'ils me pardonneraient, parce que les amis sont faits pour ça. J'annoncerai la nouvelle de mon changement d'orientation à mes parents aux vacances de Noël, puis je me renseignerai sur l’inscription à la Fac pour le deuxième semestre.

J'ai repensé à Bruno. J'aurais dû faire comme lui, partir en septembre. Il avait suivi son instinct et il avait eu raison. Il faudrait toujours suivre son instinct.

J'étais contente de m'être rendue compte de tout cela, de pouvoir réagir avant d'être totalement conditionnée. Je me disais que j'étais sauvée. J'allais sortir de cette emprise mentale. J'allais sortir de cette secte qui ignorait sa propre existence. J'allais quitter ces professeurs malsains qui se comportaient comme des gourous.

Il me restait moins de trois semaines à tenir jusqu'aux vacances. Je les passerai tranquillement, les mains dans les poches, sans me stresser.

Je me disais que j'étais sauvée et pourtant, c'est à partir de là que quelque chose d'étrange a commencé à se produire. Dans quelques jours, contre toute attente, j'allais écrire la première lettre de suicide de ma vie.

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